Lors de différends entre pairs, ou entre chef et subordonné, ça tourne vite à l'affrontement. Se mettent en place des jeux psychologiques inconscients qui contribuent à la montée inéluctable du conflit. Un mécanisme relationnel dévastateur appelé "triangle dramatique" par le psychologue américain Stephen Karpman. Ce dernier a mis en évidence dans les années 60, trois rôles majeurs - Persécuteur, Sauveur, Victime - que les protagonistes endossent, souvent à leur insu, tour à tour et dans le désordre, au fil des répliques qui fusent, opérant des "switchs" incessants d'un rôle à l'autre. L'échange finit par s'envenimer, et c'est une escalade sans fin. Seule issue possible : décrypter ce qui se passe pour agir.
"Tu en fais une de ces têtes !", "Ce n'est ni fait, ni à faire ton travail !". Paul est entré dans un mode dominateur, tyrannique. Il zappe parfois, passant de la compassion ("ça va aller") à l'agression, en lâchant "Toi qui est un expert de..., tu devrais savoir...", qui étiquette l'autre de façon méprisante, voire lui promulgue un conseil oppressant : "Tu as essayé le procédé Z au moins ? ".
Mordante, moralisatrice, cette posture du Persécuteur culpabilise, blâme, dévalorise l'autre, voire le menace ou le manipule. Elle fait sentir à l'autre qu'il est misérable.
Ses ressorts ?
Soulager ses propres conflits internes et de ses émotions ; exercer un pouvoir sur eux (sur les autres ?); chercher un bouc émissaire.
Comment réagir ?
Face à un Persécuteur, il faut oser la confrontation :"Quel est ton projet ? Que souhaites-tu ?", laissant entendre que son manège est repéré. Vous l'inviterez ainsi à se demander s'il n'est pas un casse-pied né. Et exprimez-lui ce que vous, vous attendez de lui.
Et si c'était vous? Evitez de faire payer aux autres vos frustrations ou vos excès d'exigence. Vous pouvez-être en désaccord avec quelqu'un mais comprendre ses raisons d'agir. Lâchez prise.
Marie nage dans les lamentations, le gémissement. "Je n'y arrive pas, c'est trop compliqué, je n'ai pas assez de délai.", "C'est toujours sur moi que ça tombe !" "Je suis corvéable à merci dans cette boîte". Avec, un cran au-dessus: "De toute façon, tu attendais que je me plante, tu m'as mis dans une situation impossible."
La Victime voit le monde et les gens comme des Persécuteurs. Elle emploie des quantifieurs universels "toujours", "jamais", "personne", 'tout le monde", etc. Et se déclare incompétente, incapable, tout en se jugeant irréprochable. Dans ce rôle, elle se croit protégée en pensant (ou disant) "on ne tire pas sur une ambulance."
Ses ressorts ?
Attirer l'attention sur elle ; se faire plaindre ; fuir ses responsabilités, ses engagements ; pousser l'entourage à prendre en charge ses difficultés (parfois supposées).
Comment réagir ?
Face à une Victime, creusez le malaise avec doigté. "En quoi te sens-tu vulnérable ?", "Comment puis-je te soulager ?". Vous l'amènerez à verbaliser une demande concrète et précise et donc à atterrir.
Et si c'était vous ? Interrogez-vous. "De quoi ai-je besoin ? Qui peut m'aider (collègue, ami, confrère) ? Que suis-je prêt à donner en retour ?" En objectivant la situation, vous serez rassuré, et plus enclin à positiver.
"Envoie-moi ton tableau par e-mail, je vais gérer ça", "Laisse moi te montrer". Face à une Victime, le Sauveur est Zorro, prêt à voler à son secours, quitte à être intrusif et mêle-tout. Pire, il va défendre la cause de son collègue Marc auprès du DG, sans que celui-là en soit informé. Un futur nid à reproches.
Le costume de Sauveur est gratifiant, il nourrit l'ego. A ses yeux, l'autre n'a de valeur que si lui l'épaule. En réalité, il confond aide - je fais à la place de - et soutien - j'accompagne l'autre à faire -, attitude qui suppose encouragements et écoute empathique. Le Sauveur s'impose avec des impératifs ou des "ya qu'à", "faut qu'on". Il infantilise et empoisonne la relation.
Ses ressorts ?
Se sentir utile; tirer la couverture à lui; se préserver d'un état dépressif ou redorer son blason.
Comment réagir ?
Face à un Sauveur, interpellez-le gentiment. "En quoi penses-tu que je m'y prends mal?", "OK, je te remercie de ton avis, je vais l'examiner pour prendre mes décisions".
Et si c'était vous ? Evaluez si vous avez les compétences, l'envie d'aider, et si l'autre est demandeur. Si oui, se remémorer les conditions d'un soutien. 1/ Cadrer la requête dans le temps et son contenu. 2/ S'accorder sur une contrepartie afin de ne pas créer de dette. 3/ Viser à rendre l'autre autonome. 4/ Ne jamais effectuer plus de 50% du chemin.
Article d'Alex Febo, auteur de l'ouvrage "Les 5 clés pour gérer les conflits au travail", Dunod, septembre 2015.